TMS/RPS : Quelles relations ?

Troubles Musculo-Squelettiques et Risques Psychosociaux (TMS et RPS)

Les Troubles Musculo-Squelettiques (TMS) liés au travail désignent des maladies qui touchent les articulations, les muscles et les tendons (tendinopathie, syndrome du canal carpien, épicondylite, hygroma, lombalgie). Il est communément admis que ces affections ont pour origine des gestes répétitifs et des postures inconfortables.
Les Risques Psycho-Sociaux (RPS) regroupent le stress chronique, la violence interne (harcèlement, conflits) et la violence externe (clients, usagers). Ces troubles proviennent principalement d’un dysfonctionnement organisationnel.

Des approches différentes…

TMS et RPS ont des caractéristiques opposées dans la littérature classique :
 Caractéristique TMS  RPS 
 Impact  Santé physique  Santé mentale
 Facteurs  Biomécaniques  Psychosociaux
 Evaluation  Objective, quantitative  Subjective, qualitative
Secteur Industrie, BTP Services
Sémantique « Troubles » musculo-squelettiques « Risques » psychosociaux
Depuis quelques années, la tendance est de ne pas séparer nettement TMS et RPS, les deux phénomènes entretiennent des relations.

… Mais des points communs

TMS et RPS partagent le fait : –    d’être multifactoriels –    de rassembler un ensemble de troubles et de risques (fourre-tout ?) –    d’être complexes –    d’exiger une approche globale et pluridisciplinaire –    d’être fortement médiatisés

« Troublantes » statistiques

Les TMS ont été multipliés par 10 en 20 ans et sont en hausse constante. Dans le même temps, le nombre de salariés travaillant dans l’industrie a baissé de 25%. En France, les TMS constituent la première cause de maladie professionnelle et représentent 80%  des MP reconnues pour les actifs du régime général de sécurité sociale. Comment expliquer cette explosion des TMS alors que le travail est a priori moins pénible aujourd’hui qu’il y a 20 ou 30 ans ? D’autre part, une étude européenne (EU-OSHA, 1999) montre que 50 à 60% des journées de travail perdues le sont à cause du stress ; faut-il en conclure qu’il existerait un lien entre RPS et TMS ?

De la théorie à la pratique

La communauté scientifique est unanime pour dire que les TMS ont des origines multifactorielles et pas seulement biomécaniques. Les facteurs de risques peuvent être d’origine professionnelle (physique, psychosociale ou organisationnelle) ou personnelle. De nombreux modèles ont été développés pour servir de cadre aux interventions ; en voici un qui tente de relier tous ces facteurs dans une approche globale et systémique (Franchi et coll, 1997) : Circonstances de survenue des TMS A ce jour, les études empiriques cherchant à valider ce type de modèle n’aboutissent pas à des résultats significatifs. Par exemple les études qui cherchent à montrer un lien entre : 1. une forte demande combinée à un manque d’autonomie et 2. les TMS ne sont pas concluantes. De même, si le lien entre le stress chronique  et  les TMS a été mis en évidence dans plusieurs études, leur nombre reste encore insuffisant pour être probant.

Rassurants TMS, insaisissables RPS

Une des difficultés à faire le lien entre TMS et RPS vient du fait que les facteurs psychosociaux reposent en parti sur le ressenti des personnes. Le stress au travail par exemple est défini dans l’ANI de juillet 2008 comme un déséquilibre entre la perception de la contrainte et la perception des ressources. A contraintes égales, deux personnes n’auront pas le même niveau de stress et une même personne aura un niveau de stress différent à deux périodes de sa vie. Les facteurs biomécaniques, à l’inverse, sont mesurables, quantifiables, objectivables (poids, distance, durée…). Il est donc plus simple et moins risqué pour un intervenant de se borner aux facteurs biomécaniques.

Faut-il privilégier une approche épidémiologique ou systémique ?

L’approche épidémiologique repose sur l’idée que les TMS sont dus à des facteurs physiques, psychologiques, sociaux ou organisationnels. Il suffit donc de mesurer l’exposition des salariés à ces différents facteurs puis de développer ceux qui sont favorables et de supprimer ceux qui ne le sont pas. L’approche systémique, quant à elle, consiste à avoir une vision globale et multifactorielle de l’entreprise en se demandant quel sera l’impact des mesures de prévention à la fois sur la santé du personnel et la santé de l’entreprise. Les responsables d’entreprise visent la performance. Ils mettent en place une organisation du travail dans le but de décliner les objectifs de l’entreprise jusqu’au niveau opérationnel. Cette approche « top-down » a pour but d’aligner l’organisation sur la stratégie de l’entreprise et comme disait le Général de Gaulle « l’intendance suivra ! ». A l’inverse, les représentants du personnel (au sens large, CHSCT compris) se préoccupent du bien-être des salariés. Ils évaluent les risques pour la sécurité et la santé physique et mentale des salariés puis réclament, auprès des responsables de l’entreprise, des mesures que ces derniers n’ont pas choisies. Cette approche « bottom-up » est déconnectée de la stratégie de l’entreprise (croissance, rentabilité). Dans le premier cas on cherche à adapter l’homme au travail et dans le second le travail à l’homme. Dans ces conditions, il ne faut pas s’étonner que les représentants de la direction et ceux des salariés n’arrivent pas à s’entendre et que la montagne accouche d’une souris.

TMS/RPS : objet de négociation ou réalité ?

On observe souvent que les représentants des salariés s’emparent du sujet des TMS et des RPS pour faire pression sur les directions d’entreprises. Ainsi, à défaut d’être reconnu pour son travail, le salarié l’est au moins pour sa souffrance, physique ou mentale. De leur côté, les directions d’entreprises se contentent de se mettre en conformité. Le cas du document unique est emblématique ; combien de DU sont construits sur un « coin de table » dans le seul but de ne pas se faire épingler par l’inspection du travail ? Autre exemple : l’injonction de Xavier Darcos de 2009 aux entreprises de plus de 1000 salariés d’ouvrir des négociations sur le stress au travail. Résultat : beaucoup d’accords signés mais peu de mesures de prévention « à la source ». Il est toujours plus simple et moins risqué de mettre en place un numéro vert ou de former les managers que de remettre en cause l’organisation du travail.

Mouvement prescrit et geste proscrit

Pour les ergonomes, le mouvement est observable, le geste non. Le geste inclut, certes les mouvements visibles de la personne, mais aussi son intention, sa stratégie pour faire du bon travail tout en préservant sa santé. On parle d’un « beau geste ». L’intensification du travail pousse les concepteurs à prescrire les mouvements du corps les plus efficaces du point de vue de la rentabilité et à proscrire les gestes qu’ils jugent inutiles et parasites. Cependant, le travail réel n’est jamais conforme à la prescription et s’il l’était, le travail ne se ferait pas. Pour faire face à la variabilité des situations de travail, l’opérateur invente des modes opératoires soit par essai-erreur soir par confrontation de ses pratiques avec ses pairs. Le geste est donc une construction psychosociale. Le novice commence par suivre le mode opératoire prescrit puis, voyant que le réel résiste, il se met à copier ses collègues expérimentés. Par la suite, il construira ses propres gestes et trouvera son « style », à condition qu’il soit reconnu par ses pairs et ses supérieurs (jugement de beauté et d’utilité). Les organisations qui ne laissent pas aux opérateurs les marges de manœuvre nécessaires pour construire psychosocialement leurs gestes (absence d’espace d’échange sur le travail, hyper-prescription) augmentent le risque d’apparition de TMS. Taylor aurait dit un jour à un ouvrier « On ne te demande pas de penser ; il y a des gens payés pour cela, alors mets-toi au travail ». La séparation entre concepteur et exécutant est aujourd’hui encore ancrée dans les mentalités. Or, on sait aujourd’hui qu’aucun travail n’est que manuel ou que intellectuel.

Exemple de lien entre TMS et organisation

Chez un équipementier automobile, une opératrice sur presse manipule toute la journée des plaques de tôles pour en modifier la forme. Une action particulière attire l’attention des ergonomes. L’opératrice jette d’une certaine façon les chutes de métal dans un bac de récupération. Elle exécute un mouvement ample et précis qui semble, au premier abord, coûteux et inutile. Ce geste cache en réalité une intention ; le morceau de métal doit tomber bien à plat dans la benne, sans quoi il peut couper le faisceau de la cellule de sécurité et stopper la machine. Auparavant, les chutes découpées par la presse tombaient automatiquement dans la benne mais suite à une détérioration de l’outil, cette opération est devenue manuelle. L’opératrice a suppléé à ce dysfonctionnement organisationnel au détriment de sa santé. L’observation de ses gestes a permis de mettre en évidence une anomalie dans l’organisation du travail (Poete, 2011).

Conclusion

Après une période du « tout biomécanique » puis une période du « tout psychosocial », les experts des TMS s’accordent aujourd’hui à reconnaitre qu’une part significative de ces troubles physiques sont dus à des causes psychologiques, sociales et organisationnelles. Quoiqu’il en soit, l’observation et la verbalisation des gestes et des postures des opérateurs est l’occasion de nourrir la discussion sur les déterminants biomécaniques mais aussi sur les facteurs psychosociaux et organisationnels. Mais finalement, la vraie opportunité n’est-elle pas de se saisir du sujet des TMS et des RPS, en réponse à une demande sociale pressante, pour (re)faire du travail un vrai sujet de discussion, loin des débats idéologiques et des conflits de personnes ?
Article rédigé par Thomas Blondel, Ergonome et IPRP